Une interview exclusive accordée par la Commissaire en charge de la Société de l’Information et des Médias à l’occasion de son début de mandat et à la suite de la publication de chiffres décevants concernant la performance de l’économie européenne.
Est-ce que les résultats actuels sont à la hauteur de nos ambitions ? La réponse est clairement « non ». L’Europe a perdu du terrain, tant par rapport aux Etats-Unis qu’à l’Asie, et ses sociétés sont soumises à des tensions. C’est la raison pour laquelle la stratégie de Lisbonne fait actuellement l’objet d’un profond réexamen à mi-parcours. Cet exercice s’inscrit à son tour dans une phase de transition dans la construction européenne, où l’Union doit se donner les moyens de faire face à d’importants défis. Et notamment ceux liés aux changements démographiques tels que le vieillissement et les migrations ; la mondialisation, avec ses retombées économiques et sociales ; les menaces pour l’environnement et la sécurité et les mutations technologiques. Afin d’affronter ces défis, l’Union européenne doit impérativement mobiliser ses institutions, ses politiques et ses talents humains, sans oublier le devoir de l’Union de réussir son élargissement.
C’est dans ce contexte que la révision de la stratégie de Lisbonne prend toute son ampleur. Elle est au cœur de l’agenda européen, comme l’ont souligné le Président José Manuel Barroso pour la Commission européenne, et le Conseil européen pour les Etats membres.
La Commission élabore actuellement des nouvelles propositions, pour les soumettre au Conseil européen, qui, sous Présidence luxembourgeoise adoptera une stratégie de Lisbonne revisitée pour les 5 prochaines années au printemps 2005. Je suis moi-même membre du groupe des Commissaires qui travaillent très activement sur la nouvelle stratégie de Lisbonne, et je suis convaincue que nous réussirons à mieux cibler les actions communautaires en faveur de la croissance économique et de l’emploi de l’Europe. En particulier, je suis convaincue que pour assurer cette croissance économique, l’Union européenne a besoin d’une stratégie globale et holistique visant à stimuler le secteur des technologies de l’information et de la communication qui est l’élément essentiel pour créer une société de la connaissance pour toutes et pour toutes.”
Innov.Europe : Mais le plan de mars 2000 n’était-il pas irréaliste ?
Viviane Reding : « La stratégie de Lisbonne est avant tout un engagement politique pris par l’Union européenne et ses Etats membres pour apporter un renouveau économique, social et environnemental. Il s’agit d’une déclaration d’intentions qui se décline en une série d’objectifs à moyen terme, dont certains chiffrés, et s’appuie sur une co-ordination plus rapprochée et ciblée d’instruments existants, plutôt que sur de moyens nouveaux. A mon avis, la stratégie de Lisbonne n’est pas trop ambitieuse, au contraire : même si chaque objectif devait être atteint dans les délais, l’Europe ne serait pas tirée de l’affaire. Ainsi, l’échéance de 2010 est importante pour garder constamment à l’esprit la nécessité d’une action urgente. L’Europe a plus que jamais besoin de réformes, et l’objectif 2010 sert à nous rappeler cette urgence au quotidien.”
Innov.Europe : Alors justement, quels aspects de la politique européenne n’ont pas fonctionné ?
Viviane Reding : «
Permettez moi d’abord de souligner certaines avancées positives des réformes déjà lancées. Entre autres, la création de 6 millions d’emplois dans l’Europe des 15 depuis 1999, avec des améliorations significatives du chômage de longue durée et du taux d’emploi féminin, et ce malgré le ralentissement économique.
D’autres exemples : l’ouverture de marchés stratégiques de réseaux comme les télécommunications – pour lesquels je suis responsable –, l’énergie et le transport ferroviaire ; ou la forte pénétration d’Internet dans les écoles, entreprises, administrations publiques et ménages.
Mais, malgré ces progrès, les réalisations sont en deçà des objectifs dans des domaines clé comme la recherche et l’innovation, l’éducation et la compétitivité. Les raisons des problèmes sont multiples: faible participation des travailleurs plus âgés ; insuffisante diffusion et utilisation des technologies de l’information et de la communication ; manque d’investissements dans les secteurs de la connaissance, tels que la recherche, l’éducation, la formation.
En outre, le marché intérieur demeure encore trop fragmenté, la transposition des directives liées à la stratégie de Lisbonne reste insuffisante, le vote à l’unanimité au Conseil des Ministres empêche l’adoption d‘importantes mesures communautaires. Ceci freine des réformes structurelles urgentes et risque à terme de remettre en cause le modèle social européen.
Dans ce registre, le « groupe Kok » n’hésite pas à pointer du doigt le manque de volonté politique des Etats Membres, soulignant que la principale responsabilité de mener à bien la stratégie de Lisbonne leur incombe. »